La ronde des saisons et son animal totem
Introduction
Ceci est une nouvelle section sur ce site Web. Le thème principal est les interviews personnages créatifs et leurs projets atypiques
La première interview porte sur un film documentaire réalisé par Denis Pontonnier: "La ronde des Saisons et son Animal Totem"
Pour cet article, nous avons travaillé en collaboration avec 3DVF
Afin de rendre cette interview un peu plus lisible, différentes couleurs de texte sont utilisées:
DP - Denis Pontonnier en Bleu
3DVF - en Rouge
Bob - en Orange
Cet article peut également être lu en Anglais et Espagnol. Les liens directs peuvent être vus ci-dessous ou via les TAG sur la droite de cette page:
The round of seasons and its animal totem
La ronda de las estaciones y su tótem animal
La ronde des saisons et son animal totem - Making of
Ce documentaire est un film sur la cathédrale Saint-Étienne de Bourges et ses environs. Mais c'est aussi «autre chose». Dans cette interview, nous avons essayé d'explorer les deux sujets et aussi comment le film a été réalisé.
En voyant La ronde des saisons et son totem animal, on peut se rendre compte que faire un film comme celui-ci nécessite différents types de connaissances basées sur de nombreuses questions, principalement pour un cinéaste solo. C'est une occasion spéciale d'apprécier une approche différente par rapport à la production industrielle "parfaite" en studio de CG. Nous sommes alors devant une proposition expérimentale particulière, style "Nouvelle Vague" dans ce documentaire hybride images réelles et images virtuelles (CGI)
Bob - J'apprécie franchement la diversité des situations et le style presque «non narratif» de votre documentaire ou narration «Cinéma pur» comme cela se dit. Pensez qu'ils ont une unité autour du sujet principal et que ce genre de récit y contribue en effet. Est-ce que l'idée du "totem animal" utilisée dans le traitement narratif est un indice pour le public sur le type d'indices secrets qu'ils vont découvrir?
DP - Oui, j'ai choisi cela parce que c'est un jeu pour les écoliers pour apprendre les saisons et dans le film, un jeu de piste. vous pouvez voir brièvement dans le titre animé, que le mot "animal" apparait d'abord comme "anima" (pas loin de "animisme"). Avec le titre, je veux dire que derrière notre civilisation historique et religieuse complexe, nous avons toujours le même socle universel humain, solstices, équinoxes, références tirées de la nature.Pour moi, il était évident qu'une sorte de "virginité" culturelle, mais visuellement ambitieuse, était le but. Pas contre plutôt discret au sujet de la culture patrimoniale.
Bob - Oui, il y a une sorte de base naturelle universelle ... Je crois devinez que sa présence latente dans ses dérivés culturels pourrait être appelée "virginité culturelle" comme vous le dites. Comment parvient-on à donner au public un aperçu de quelque chose d'aussi intrinsèque et en même temps implicite dans les choses de tous les jours? Parfois, il semble qu'il y ait une sorte de visuels métaphoriques dans votre film, probablement pas évident pour tout le monde, mais peut-être que je vois plus que ce que vous prétendiez offrir?
DP - Ce que je peux dire au sujet de la signification, des parties cachées et de "recouvrir les traces". Mon objectif était d'abord de détourner l'attention du spectateur, de s'éloigner d'une narration trop rationnelle, en soustrayant des éléments significatifs avec des ellipses, même pour des aspects triviaux. Dans le monument il y a plusieurs sculptures de fesses cachées dans l'ornementation, personne ne sait si ces ajouts de Renaissance sont des farces.
Note de l'éditeur: pour plus de détails voir Google Images et taper "Bourges cathédrale fesses"
A propos de l'une d'entre elles, j'avais 4 plans, l'un avec des étudiants appelant leur professeur, l'autre avec un guide le montrant aux retraités âgés,une autre avec plusieurs familles entières et une mère et sa petite fille montrant à la sœur ainée. Les avoir captés tous dans un endroit marginal était unitaire et significatif quel que soit le sujet. Ils rient tous, mais à ce stade, c'est devenu évident pour moi, ne pas montrer la sculpture, pas de censure ici ..., plutôt la volonté être légèrement disruptif.
Dans une autre séquence, j'ai essayé ce qui suit, le guide récitait à son groupe le discours classique, j'avais 2 bandes sonores endommagées ou tronquées, l'un sur la grande façade et le parvis de la cathédrale, différent de Notre-Dame de Paris, d'autre part, la tour nord qui s'était écroulée (l'ancienne tour était symétrique à la tour sud, celle qui a été reconstruite est de style "renaissance"). Lors de la réunion des deux plans, cela a donné: 'ici ce n'est pas comme à Paris ... "" ... Et la tour nord avait aussi des fissures et effectivement, elle s'est bel et bien écroulée ". Mon intention était juste de refléter un public distrait, toujours en train de tout photographier avec leur téléphone, donc cela renvoyait une description perturbée et confuse. en donnant pour moi une autre dimension, comme les "cadavres exquis" (malheureusement Notre-Dame a été partiellement détruite plus tard...).
Bob - Très intéressant le choix de ne pas montrer la frise. J'ai remarqué que l'audio dans la partie guide avait changé mais je n'ai pas compris ce qu'elle disait - mais maintenant que vous mentionnez, la "coïncidence" avec ce qui s'est passé à Notre-Dame est un peu effrayante.
Trouvé intéressant aussi la transition des jours pluvieux à ensoleillé avec la série des parapluies: les parapluies bleus à jaunes d'abord (fille au parapluie bleue marchant en arrière, homme au parapluie jaune à côté du garçon africain regardant la pluie), puis à la séquence intérieure (homme avec un parapluie jaune ) plus tard, la petite fille laisse tomber son parapluie puis le ramasse, ensuite le vieil homme, et enfin le même premier type de parapluie jaune sortant d'une autre porte pour passer à une journée ensoleillée en plein air avec le garçon africain et ses 3 petits enfants.
DP - Oui, la série d'images de parapluies était une sorte de motif facile ou cliché que j'avais en tête pour illustrer la météo changeante.
Bob - Pas du tout facile, je pense que le motif est cohérent dans la scène et avec ce genre de récit de "collage". D’ailleurs, j'ai entendu dire que le personnage de crècerelle est basé sur un vrai personnage, une famille de crècerelles vivant dans la cathédrale. Pouvez-vous nous parler un peu de cette histoire?
DP - J'ai découvert sur le net, plusieurs photos de crècerelles, prises autour de la cathédrale, également nichées dans les hauteurs du monument, par un jeune photographe amateur (Tom Sorcelle) ou issus de la presse.
J'ai rencontré Laurent Arthur du musée de Bourges (bien connu ici), il me dit qu'il a traqué ces oiseaux, c'est aussi un grand spécialiste des chauves-souris, les protégeant de façon anecdotique lorsque le grand portail est ouvert, car ils nichent juste au-dessus des portes. A propos des crècerelles, je les repère plus souvent dans le ciel, maintenant grâce à leurs cris.
La plupart du temps elles sont invisibles pour les citadins, mais voir parfois la nature sauvage apparaitre en plein centre ville est, je pense, un peu rassurant de nos jours ...
Bob - La lettre «O» qui tourne et illumine la Ronde des saisons fait elle référence au faucon crècerelle volant autour de la tour?
DP - Oui, à l'origine la rotation de la lettre "o" de la "ronde", était évidente, et en illustrant aussi les cercles d'oiseaux de proie lorsqu'ils profitent des courants ascendants. Un titre trop long, mais initiant plusieurs pistes à suivre.
Bob - Y a-t-il d'autres types d'indices cachés?
DP - Dans une séquence un peu "chaotique", deux touristes d'un groupe de voyage organisé se heurtent presque, dans une autre séquence pas loin de celle-ci, un touriste japonais contemple un vitrail, il est clair que j'apprécie mieux son approche, mais j'ai aussi essayé de ne pas être directement polémique, pas besoin d'être explicite, ni de juger, trop de contradictions, alors j'ai préféré glisser sur les situations et traquer les coïncidences. J'ai choisi le "Dimanche des Rameaux" comme rituel religieux unique, d'abord parce que c'est l'occasion d'ouvrir les grandes portes (dans le synopsis) et aussi parce que, comme le montre le vitrail, Jésus est représenté comme une personne modeste montée sur un âne (passant par la plus petite entrée de Jérusalem). Dois-je dire que j'étais vraiment heureux quand j'ai pu filmer un âne réel, six mois plus tard, un autre animal totem.
Bob - Je suppose que l'horloge astronomique du début est également une référence cachée du titre puisqu'elle effectue un zoom sur le cycle lunaire, mais que signifie le changement brusque de l'obscurité à la clarté?
DP - C'était en effet une façon de montrer un symbole direct des saisons avec le zodiaque. C'est un timelapse réaliste en hiver, du lever au coucher du soleil, la nuit qui vient, puis les lustres électriques sont allumés dans la cathédrale, si je peux apporter une sens fortement symbolique, l'éveil de la conscience succède à la nuit de l'âme. Après la séquence du coucher de soleil, il y a un autre timelapse ensoleillé à la nuit noire puis éclairage électrique final sur le grand portail, les deux séquences sont analogiques, parallèles, et probablement inspirées des "symboles universels" qui vont au-delà d'une religion spécifique.
Bob - Très intéressante aussi toute la séquence de l’Ange, elle semble éthérée mais aussi métaphorique ...
DP - l'Archange Michael, symbole solaire, pesant les âmes. Le symbole le plus important pour moi est son sourire, en contrepoint de la séquence précédente de l'atterrissage de la crècerelle au sommet de la tour nord (j'ai vu deux crècerelles cette année voler autour de cette tour, difficile de les filmer).
Je m'intéressais probablement aussi à une relation subtile entre la restauration avec une approche trahissant quelque peu l'authenticité, en recréant parfois des pièces ou en variant le style dans le passé, puisque je transgressais moi-même les codes documentaires ... À la fin du long travelling depuis l'arrière de la cathédrale, le long de la rue avec une jeune femme portant une guitare sur le dos, nous terminons à mi-hauteur de la façade de la cathédrale près de plusieurs statues blanches, elles étaient tellement abimées qu'elles ont été totalement resculptées, puis plus tard dans la crypte, vous pourrez voir les statues authentiques endommagées. Idem pour le tympan du "Jugement Dernier" du portail central comprenant l'Archange, j'ai reproduit l'éclairage de la statue originale dans le musée lapidaire. J'ai planifié cela vers la fin du film pour terminer le travelling au coucher du soleil. Techniquement, pour avoir un plan rapproché, j'ai rescanné une partie du tympan avec beaucoup de détails, en photographiant à distance avec une très longue focale, mélangée avec le portail 3D haute résolution.
Bob - Intéressant aussi, vers la fin, la séquence fin où la ronde des saison se termine et recommence et où nous voyons un groupe de touristes marchant de gauche à droite derrière un arbre donnant l'impression de quitter les lieux. Puis un nouveau groupe de les touristes avec un guide venant de droite vers la gauche également derrière un arbre, comme une nouvelle ronde de saison. Les dernières prises sont également très symboliques: le faisceau lumineux vers le bénitier, la lumière colorée du vitrail sur le sol et étage qui se déplacent vers le toit à l’encontre du ciel. Tous ces messages visuels cachés et si intéressants.
DP - Dans un film de fiction, on ajoute souvent un générateur de fumée, à ce moment-là, ils venaient de finir de scier des pavés en pierre, car ils ont commencé une nouvelle campagne de restauration pour la cathédrale, et elle devait être à nouveau recouverte partiellement d'échafaudages. C'était le dernier tournage mise à part les scènes de neige ultérieures.
... Dans le film, j'ai essayé d'éviter les "clichés" ou les symboles spirituels récurrents, mais pas ici, comme pour l'Archange, on est en plein dedans ... et on oublie La Levée du Sceau derrière le vitrail ...
3DVF - Denis Pontonnier, vous avez réalisé « La ronde des saisons et son animal totem », un projet atypique centré sur une cathédrale gothique… Pour commencer, quel est votre parcours, et pourquoi avoir lancé ce projet ?
DP - Formé au cinéma à l’Ecole Louis Lumière, j’ai travaillé comme opérateur de prise de vue, réalisateur, sur des films institutionnels, documentaires et quelques fictions.
Intéressé depuis longtemps par l’image de synthèse, d’abord hors de portée, j’ai fait mes débuts en autodidacte au milieu des années 90, j’ai eu la chance de pouvoir réaliser mes premières simulations virtuelles broadcast pour un documentaire TV sur les chauve-souris (“La vie à l’envers”, séquences primées au festival Imagina 1999).
J’ai persévéré dans ce type de réalisation pour la télévision, produite à Bourges (à deux pas de la cathédrale) pendant quelques années.
Ne voyant que peu d’évolution possible vers la création d’un véritable studio, j’ai prolongé mon exploration avec des recherches de développement et de codage de plugins pour le logiciel Lightwave3D. J’ai proposé un ensemble assez large d’outils freeware et c’est devenu mon activité principale.
J’avais évoqué mon désir de modéliser la cathédrale, après qu’elle ait été classée au patrimoine mondial par l’UNESCO, mais mes premiers tests de photogrammétrie, sans les algorithmes actuels, ont vite modéré mon ambition.
Il y a une dizaine d’année, le médiéviste Andrew Talon a procédé à un scanning laser scientifique complet de la cathédrale, comme pour Notre Dame de Paris, un nuage de quelques milliards de points, j’ai vite compris que ce modèle de recherche ne serait sans doute pas accessible au public, ou en tous cas serait très lourd à manipuler pour obtenir un maillage ou procéder à sa réduction ou extraire des textures.
Pour ma part j’aspirais à élaborer un projet esthétique ou artistique, plutôt que didactique.
L’arrivée d’une gamme abordable de logiciels de photogrammétrie avec reconnaissance des pixels d’une série de photos, m’a ouvert la porte.
Bob - J'ai lu le synopsis de votre film. C'est incroyablement bien écrit. Il a en effet une sorte de récit immersif avec même au début un sentiment d’un film de Buñuel , globalement mouvementé et lyrique mais à travers une connaissance participative du public. Ce synopsis était-il une sorte de scénario?
DP - Pour être précis, ce n'était pas vraiment un synopsis comme écrit pour une fiction, mais une «note d'intention», l '«introduction» est proche d'une sorte de synopsis, dans la mesure où il est possible d'en écrire un pour un documentaire immersif et hybride, donc les connaissances qui y sont exposées ne sont que pour le contexte culturel, puis il y a un inventaire des mini-évènements probables ou possibles. Le film est basé sur des situations naturelles, des expressions spontanées recueillies à partir de notes de reconnaissance et un travail d'écriture s'étendant jusque dans la mise en scène et le montage.
Bob - Comment était le mélange de la planification de la pré-production en direct-action et CGI? était la production en direct? ou était-ce parallèle?
DP - Quelques tests vidéo ont été enregistrés en HD en 2016 et le traveling final CG de l´escalier a été rendu 3D la même année. Mais en février 2017, c'était le vrai début de la 4K et donc du rendu 3D continu. Après quelques mois, j'ai pu faire correspondre des personnages et des CG / VFX avec d'éventuelles images en direct. C'était donc parallèle et interactif.
L'approche était incertaine les premiers mois, mais cela s'est consolidé avec la scène de la jeune fille au scooter et les adolescents en arrière-plan. La fille plaisantait sur un garçon hors écran, puis je les ai laissés, j'ai fait le tour de toute la cathédrale dans la direction opposée, suis allé sur le parvis et je les ai vus assis dans les marches, ... j'étais heureux de trouver une continuité à la fin de l'hiver ... On peut dire que tout le monde ne s'en rendra pas compte ou n'identifiera pas ce qui se passe, mais être à la limite entre conscient et subconscient était suffisant pour moi , après cela il a été facile de finaliser avec la scène des femmes marchant sur le parvis, qui a été filmée quelques minutes plus tard. C'était donc la scène qui me donnait la clé d'une éventuelle relation entre les personnes réelles et les personnes CG, qui était sous-jacente dans le script, mais non prévisible.
Bob - Je me demandais précisément comment tu enregistrais les gens pour qu'ils ne remarquent pas mais qu'ils obtiennent quand même un niveau immersif. Je pense que cela a dû être très difficile pour certains plans?
DP - Je pourrais dire que je ne choisis pas le sujet, le sujet s’impose à moi. Je peux dire cela autrement, parfois les gens bougent simplement mais dans certaines occasions, ils actent et dans les cas majeurs, ils n'ont pas détecter ma présence en tant que directeur de la photographie mais je pense qu'ils soupçonnaient sans doute d'être filmés ou d'être sur un podium...
Je n’y ai pas pensé quand je travaillais, mais j’ai vu Henri Cartier Bresson dans un film la semaine dernière où on peut le voir photographier pendant qu’il danse autour des gens, puis il disparait. C’est vraiment très drôle. Grâce à cela j’ai utilisé des attitudes similaires afin de distraire les gens ou de ne pas attirer leur attention. Assez compliqué car quand je tournais pendant ce temps, ma main était mes yeux ... Il y a eu beaucoup d'échecs bien évidemment.
Bob - A ce stade, il y a eu un montage préliminaire hors ligne?
DP - A la fin, à l'été 2018, après avoir trié les rushes avec CG comme pivot, j'ai monté des séquences séparées, réduit progressivement le film pour atteindre ma durée totale de 52 minutes.
3DVF - Si le film contient des images réelles, il s’appuie aussi sur un modèle 3D de la cathédrale de Bourges et de son environnement. Un travail considérable a été accompli pour le créer, avec notamment plusieurs dizaines de milliers de photos… Concrètement, comment avez-vous organisé et géré une capture aussi massive ? Quelle stratégie et outils avez-vous ensuite utilisés pour la reconstruction par photogrammétrie ?
DP - Environ 50000 photos sur 3 ans, par session d’environ 250/300 photos par session, toute la photogrammétrie a été gérée avec le logiciel Photoscan d’Agisoft (rebaptisé Metashape), très efficace avec l’utilisation du GPU, au final j’ai cassé un appareil photo et ma carte graphique a rendu l’âme après le film.
Le logiciel gère l’alignement des caméras/photos, produit un nuage de points, puis un maillage et l’extraction de texture.
J’ai commencé par générer un premier portail, qui a servi de référence pour aligner tout le reste…
Pour chaque bloc, un modèle haute résolution comme base et pour capturer ultérieurement des normal maps, un modèle réduit par décimation pour extraire les géométries des parties sculptées. Toutes les parties planes ou simplement profilées comme les arcades ou ornements répétitifs ont été remodelés sur un calque par-dessus le scan réduit.
Les deux parties assemblées sans couture sont rendues homogènes par le baking de texture effectué dans lightwave sur une autre UV Map avec moins de coutures et optimisation de l’espace.
J’ai suivi une procédure particulière pour les arbres et la végétation, avec mon plugin DP Verdure pour générer des arbres, à partir de leur forme globale, connectés par la suite au scan 3D, utilisant mon propre instancer aux cotés de l’instancer natif de Lightwave, pour la distribution des plantes et de l’herbe.
Le modèle entier, cathédrale extérieure, intérieure ainsi que les quartiers environnants a été orienté et mis aux dimensions réelles, pour pouvoir y appliquer une simulation d’éclairement solaire avec DP Sunsky (Hosek model) et les personnages animés.
Les portails DP Sunsky ont été utilisés pour éclairer les intérieurs. Il n'y avait pas de photogrammétrie pour la texturation des personnages, c'était une approche 2D à 3D, modifiant le maillage dans Modeler, mélangeant les textures et complété manuellement.
3DVF : Il a donc fallu retravailler les différents éléments issus de la photogrammétrie : corriger les erreurs, défauts de reconstructions, zones non photographiées… Une tâche là encore imposante. Comment l’avez-vous abordée ?
DP - L’absence de point de vue élevé peut être compensée en partie par des points de vue éloignés en longue focale, mais il y a nécessairement des limites à vouloir capturer un monument de cette taille sans l’aide d’un drone.
La tour nord accessible au public offre un point de vue intéressant pour des panos 360 et l’environnement, j’avais quelques souvenirs d’une visite exceptionnelle avec un guide dans les coursives élevées.
J’ai consulté plusieurs livres et une série de panoramas réalisés par Andrew Tallon, ces éléments ont servi de base pour recréer certains dallages élevés ou pour approximer les parties inaccessibles ou invisibles au public.
Les principaux problèmes en photogrammétrie sont le plus souvent résolus par des prises de vues complémentaires, j’ai été positivement surpris par la bonne qualité d’extraction des textures de Photoscan, excepté pour le pavement, qui constituent aussi une gageure pour obtenir la 3D, mais tout cela devait de toutes façon être remodelé, pour réduire la géométrie.
Il y a une vingtaine d’années je travaillais avec un des premiers petits appareils photo numériques, très limité, pour assembler des textures de rue et de maisons sur des géométries 3D assez simples, mais qui me permettaient déjà de construire des décors complets. J’ai donc mis tout cela à profit pour redresser les perspectives et rectifier manuellement.
Je n’ai pas été trop séduit par les techniques de remaillage ou “retopo” automatique, Lightwave laisse quelquefois les modeleurs un peu « sur leur faim », surtout pour des gros modèles, mais il ne m’a jamais posé de souci pour ce travail, à l’arrivée la cathédrale “pesait” 2 fois moins (2.6 millions de polygones) qu’un portail seul scanné en haute résolution.
Note de l'éditeur: Si vous vous demandez qui est l'homme mystérieux en vert qui apparaît à plusieurs reprises dans le documentaire, c'est Andrew Tallon, un historien de l'art belge médiéviste qui a fait un scan laser de la cathédrale. Il a également réalisé un ensemble de panoramas VR. Il est décédé à l'âge de 48 ans à New York le 16 novembre 2018.
Pour plus d'informations sur Andrew merci de regarder:
a) sa page Wikipedia
b) Leica to support efforts in rebuilding Notre Dame [
En son hommage, Denis Pontonnier l'a inclus dans son film.
3DVF - Quelles leçons tirez-vous de ces deux étapes de capture puis nettoyage/optimisation ? Y a-t-il des étapes que vous referiez différemment ?
DP - Aucun regret, les premiers blocs ont servi de test pour élaborer la méthode, jusqu’à une simulation en éclairage jour, pour entrevoir l’étendue possible du projet.
Le simple fait d’avoir pu mettre en scène le modèle dans toute les atmosphères souhaitées et d’être parvenu au bout du calcul de rendu, avec des moyens limités et dans la durée que j’avais estimé, m’a pleinement satisfait.
Il est certain qu’avec l’expérience acquise, je pourrais encore économiser du temps, mais difficile d’améliorer encore la qualité dans ces conditions, à moins d’augmenter les moyens.
3DVF - Pour le tournage des images réelles, vous avez choisi un tournage discret et étalé dans le temps. Pourquoi ?
DP - J’ai défini une approche contemplative de mon sujet, plus anecdotique que linéaire ou narrative, une mosaïque composée de scénettes naturelles, pour décliner un schéma saisonnier assez classique,
cela excluait toute mise en scène en réel. A travers mes repérages et ma documentation, les espaces cibles en conformité avec le model 3D, il a fini par s’établir une sorte de grille de probabilité, comme on peut le faire dans un film animalier, deviner sans trop tricher et se faire oublier, une pratique déjà acquise avec mon expérience d’opérateur de prise de vue.
3DVF - D’où est venue l’idée d’un « animal-totem » ?
DP - Face à un monument religieux issu du Moyen-Age, confronté à la société d’aujourd’hui, multiculturelle et l’intérêt actuel pour de multiples pratiques spirituelles, Il m’a paru pertinent d’évoquer le chamanisme parce que c’est l’origine du sacré.
C’est évidemment un raccourci pour situer le point de vue du film, qui n’évoque que superficiellement l’histoire ou l’architecture.
Avec le clin d’œil du faucon crécerelle, on observe simplement la vie tout autour, on regarde la cité comme la nature, je n’ai pas eu à chercher bien loin la présence de divers animaux, tous “totem” potentiels, de même qu’il apparait à tous les visiteurs la présence d’un bestiaire important dans toute l’imagerie gothique de la cathédrale.
3DVF - Comment s’est déroulée la phase de rendu ?
DP - J’ai espéré obtenir une autre machine, mais il a fallu que je me résolve à n’utiliser que ma station (gaming) i7, 16Go de RAM, 24 heures sur 24, environ 1 an et demi, exceptions faites, des dernières mises au point des scènes, de l’intégration des animations, que je travaillais sur un vieux portable et les effets spéciaux par petites session de travail.
J’avais trois résolutions de textures pour chaque bloc, suivant la distance, pour optimiser la mémoire, rechercher à diminuer les temps de chargement des scènes et la durée du calcul.
L’illumination globale était pré-calculée pour la scène avec un cache de radiosité séparé pour les animations de personnage.
J’effectuais les transferts de vidéo sur la même machine, les prises de vues s’étant déroulées sur un an, j’ai à peu près respecté un parallèle entre réel et virtuel et le réel a “peuplé” le virtuel au fur et à mesure.
3DVF - Le compositing a sans doute été un élément clé, puisqu’il s’agissait pour certains plans de marier des images réelles et du rendu 3D. Quels ont été les défis à ce niveau ?
DP - Il y très peu de mélanges film-virtuel à proprement parlé, en tout 4 plans, avec rotoscopie et matchmoving, simulation du même éclairage et du même objectif, et aussi un plan avec matte painting animé en fond.
Pour les plans virtuels représentant des personnages vus dans les éléments filmés, il s’agissait surtout de fabriquer ou modifier des modèles de base et leur squelette pour y transférer une animation à partir une banque que j’ai constituée avec mes scripts et plugins.
La plupart des séquences 3D ont été traitées de façon assez simple, principalement une séquence « beauty pass » et alpha, pas mal de masques pour réassembler des passes séparées pour les grandes scènes, ou modifier des couleurs ici ou là, ajuster les personnages, beaucoup de réparations (rendus partiels), inévitables quand on économise les préviews, une gestion de la profondeur pour l’atmosphère ou le brouillard.
Un color-grading a été appliqué avant montage aux deux sources censées se suivre avec la même ambiance.
Bob - Pouvez-vous nous en dire plus sur la beauté du ciel dans le film?
DP - Dans mes statistiques, j'ai compté environ 30 scènes nécessitant plus ou moins grande utilisation du ciel panoramique. J’ai aussi utilisé Time-Laps et ciel CG
Il y a donc 3 types de ciel utilisés dans ce film:
1) Photographie standard (LDR / HDR)
2) Vidéo Time/Lapse
3) Ciel CG
1) Photographie standard avec appareil photo DSLR (LDR / HDR)
Bourges [https://en.wikipedia.org/wiki/Bourges] possède un lac artificiel avec un «ponton». C'était le meilleur endroit le plus proche pour photographier le ciel avec un trépied nivelé, j'ai fait un support enregistrement brut de 6K avec un Nikon D5300 et un objectif 18 mm.
En 2014, j'ai fait 8 séances à différents moments de la journée. J'attendais chez moi que le temps change puis j’ai marché jusqu’au lac, j'y suis resté une demi-heure afin de photographier 6 ou 8 ciels en attendant 10 à 15 minutes entre les photos afin d’avoir différents nuages , des nuages couvrant le soleil ou du plein soleil. En tout j’ai enregistré 46 x 360 ciels HDR. J’ai utilisé moins de la moitié de ces ciels et les ai parfois réutilisés dans d’autres scènes avec une orientation différente. D’après mes statistiques, il y a environ 30 scènes ou j’ai utilisé les ciels panoramique plus ou moins grands. Les autres scènes utilisent simplement Sunsky pour la couleur de l'environnement pour un ciel blanc d'hiver maussade ou un ciel bleu sans nuages, en ajustant le paramètre Turpidity.
Il m'a semblé que le rendu 3D avec les ciels HDR prenait trop de temps, j'ai donc utilisé des ciels LDR mappage ton-local d'abord en faible résolution (6K) avec une position du soleil correspondante grâce à DP Sunsky
[https://dpont.pagesperso-orange.fr/plugins/Sunsky.html - TITLE LINK NAME DP Sunsky - Environment and Light Plug-ins for LightWave 3D by Denis Pontonnier] en variant Turpidity et Gamma.
J’ai ensuite composé puis composer les embauches (22K) car l'ajouter à la liste des textures du modèle coûtait trop de mémoire.
J'ai également dû supprimer dans certains cas des lignes électriques ou des arbres trop près de l'horizon.
Ci-dessous, vous pouvez voir comment certains ciels enregistrés HDR sont utilisés dans plusieurs scènes
Note de l'éditeur: Une scène exclusive qui n'était pas dans le film peut être vue dans une édition spéciale de la série HDR Panorama Portrait. Pour plus d'informations merci de regarder ce lien
2) Vidéo time-lapse
Les time-lapse ont été réalisés avec un objectif Nikon D5300 de 18 mm, tous avec le ciel de l'après-midi, aucun compositing mais directement rendu sous forme de séquence d'images dans les scènes 3D. 4K mappage ton-local avec une caméra distincte statique sur une partie d’une sphère, et positionné au centre du « camera-path » de rendu 2K, de sorte que la caméra de rendu 3D ai un angle de vue variable dans le ciel projeté d’une résolution correcte.
A: Ciel changeant en accéléré, plus pour simuler des nuages venteux avant que la crécerelle ne plane, précédant la première scène de pluie.
B: Une fausse scène 3D time-lapse, accélérant le vent dans les arbres, ajoutant également un éclairage solaire un peu scintillant, causé par des occlusions partielles de nuages.
C: Gamma réduit dans Lightwave Image Editor pour un ciel plus sombre, avec un soleil qui s'estompe, ajoutant une lumière de plus dans le posting.
D: Ciel plus sombre avec éclair composé en post avec un effet de floraison.
3) Ciels CG
Certaines scènes sont générées avec le LW plugin DP Sunsky
A: Neige (niveaux modifiés de Sunsky)
B: Printemps (contrasté pur Sunsky)
C: Eté Rue Guichet
D: Tour (panoramique partiel pour la ville, sommet «couvert» Sunsky)
Bob - Comment la bande originale de la musique composée et qui est le compositeur?
DP - C'est moi, composé avec un compositeur Midi, arpégiator et une banque de sons symphoniques gratuite. Quelques expérimentations Midi.
Suite à ce que nous commentions sur les insertions de repères subliminaux, dans la séquence VFX «Rue Guichet», lorsque la caméra s'envole vers la rosace, la musique est une transcription Midi de l'horloge astronomique Carillon et le son du mécanisme, transformé avec des arpèges, même si je sais que ce n'est absolument pas reconnaissable.
Dans le time-lapse aussi, le son est inversé, lorsqu’on entend enfin la version originale et le son synchrone dans la dernière partie du film (CG et images réelles). La destructuration est utile pour atteindre un deuxième (troisième?) degré, ou une vision onirique.
Il y a plus de sons provenant de l'accordeur d'orgue (discordant) que de l'organiste qui sont inversés (comme la séquence d'images), j'ai voulu montrer des spectateurs assis en sens inverse face à l'orgue et d'autres assis face au choeur. Une sensation de déstabilisation à notre époque, peut être.
Bob - Comment se sont déroulés les tests pour le master DCP?
DP - J'ai testé le DCP au cinéma de la Maison de la Culture de Bourges. J'ai demandé à voir les sous-titres anglais (j'ai aussi une version espagnole), le test en salle a révélé 2 ou trois erreurs d'animation, j'ai demandé à l'opérateur d'augmenter l'audio ensuite j'ai augmenté le DCP au même niveau, le surround est impressionnant, pas beaucoup d'effets de panoramas mais avoir 2 espaces différents pour les sons et la musique est mieux.
Les couleurs étaient un peu différentes de ce que j'obtiens sur mon moniteur, mais j'en étais satisfait. Il a juste été géré avec la même entrée vidéo et la même conversion DCP O-Matic 2. L'animation des personnages est également plus fluide que Vimeo, surtout par rapport à ma première version H264 HD720.
3DVF - Sur un tel projet, qui a nécessité plusieurs années de travail, la tentation est grande d’abandonner, ou à l’inverse de vouloir repasser sur des séquences, de ne jamais finir le projet et de le poursuivre indéfiniment par perfectionnisme excessif. Comment avez-vous réussi à ne pas vous « perdre » ?
DP - Le perfectionnisme est tout relatif, excepté 2 ou 3 plans très délicats ou l’on peut parler d’acharnement, mais c’est assez courant pour des plans d’effets spéciaux que l’on juge importants. Pour ce qui est de l’endurance, je pense que tous les généralistes 3D savent et connaissent, une fois établie la qualité désirée, c’est l’homogénéité qu’il faut atteindre avec constance. Assumer seul toutes les décisions et assurer toutes les tâches est éprouvant, difficile pour moi d’être objectif au sujet de l’efficacité.
Mise à part des questions d’étalonnage je ne suis pas revenu en arrière, grâce aux trois années de préparation.
3DVF - Qu’espérez-vous laisser comme impression chez les spectateurs qui verront le film ?
DP - D’abord, étant donnée la durée de ce moyen métrage et son fil conducteur ténu, je serai d’abord heureux que les spectateurs le visionnent en entier.
Je cherche à communiquer des émotions très simples en retrait de l’époque actuelle pour le moins tourmentée.
J’espère qu’il ne seront pas troublés par le mariage inhabituel d’images virtuelles 3D, avec le réel dans un documentaire, si je parviens à ce que soient ressentis agréablement, quelques moments de grâce suspendus, comme on dit, j’aurai atteint mon but.
Ce film n’est pas institutionnel, quoique bizarrement certains aient pu le penser, ni conditionné pour des besoins particuliers.
S’il donne envie de venir voir ou visiter ce monument, j’en serais également ravi.
3DVF - « La ronde des saisons et son animal totem » a reçu un visa d’exploitation, et est disponible en 2K pour diffusion cinéma. Où en êtes-vous dans la recherche d’un distributeur ?
DP - Oui il peut être projeté en salle pour tous publics et il est désormais accessible intégralement sur Viméo.
Toujours à la recherche d’un distributeur, je passe sur les difficultés à présenter ce film atypique, comme vous dites, mais je pense pour l’avoir vu moi-même, qu’il y a un intérêt à le découvrir sur grand écran.
Bob - Nous souhaitons beaucoup de succès à Denis dans sa recherche d'un distributeur et nous vous invitons tous à regarder et partager son film. Et si vous êtes distributeur merci de contacter Denis ici